Le 15 février, un grand pas pour l’Internet civilisé était franchi : dans le cadre de l’opération « Save our children », 10 noms de domaine étaient saisis par les services des douanes américaines, bloquant des milliers de sites avec redirection vers une bannière évocatrice :
Micro-dommage collatéral, une infime partie de ces sites - environ 80.000, ne chipotons pas – ne contenait aucun contenu à caractère pédopornographique. Des sites de particuliers, des blogs et plus grave des sites commerciaux de PME qui se retrouvent brutalement estampillés ainsi, avec insignes officielles et messages inquiétants, on croirait déjà voir la police américaine défoncer ta porte à 5h du matin en te collant un gun sur la tempe et en te trainant toi et ton caleçon à pois dehors et te traitant de sale pédophile devant tous tes voisins.
Ce léger incident serait dû à la saisie intégrale et par erreur d’un nom de domaine très populaire, mooo.com, appartenant à l’hébergeur FreeDNS qui se serait immédiatement empressé de démentir que de tels contenus trainent sur ses serveurs.
Passons sur le préjudice commercial conséquent que ces accusations entrainent pour les petites boites concernées. Pareil pour les particuliers et leur blog de vacances ou de mariage – en passant je me demande s’il n’est pas plus difficile à un particulier de démentir auprès de son entourage que son site était parfaitement normal que ce ne l’est pour une entreprise de vente de robinetterie.
Peu importe. La politique de contrôle du Web a de toute façon montré depuis longtemps qu’aucune mesure n’est disproportionnée aux yeux des régulateurs dès lors qu’on parle de contenu terroriste ou pédopornographique. Wait, what ? la présomption de.. ?
Encore faut-il savoir de quels régulateurs on parle. A force de cracher sur Hadopi et sur la LOPPSI reloaded, la France s’est convaincue d’être un des pays démocratiques les plus coercitifs dans sa gestion craintive du Net. Ce serait oublier qu’en matière d’unilatéralisme, nous avons peut-être nos maitres ; peu de pays peuvent se targuer d’avoir monopolisé le système d’attribution mondiale des noms de domaine par le biais d’un organisme national, l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), pour ensuite le contourner dès lors que ledit organisme ne se plie pas aux demandes de censure du FBI ou d’Interpol…
L’affaire mooo.com a en effet révélé une pratique singulière des autorités américaines, qui serait mise en œuvre depuis plus d’un an : elle consiste à désactiver de façon unilatérale des noms de domaine (.com), sans procès et a fortiori sans prévenir. A partir de la notion -tellement claire- de « contenu illicite », des sites sont purement et simplement débranchés des serveurs ; et par contenu illicite, on entend visiblement n’importe quel délit ou crime, du plus grave à la plus bête contrefaçon de DVD.
Et si la non-intervention d’un juge est à la grande et stricte rigueur compréhensible au regard de l’urgence qu’il peut y avoir à bloquer un site pédopornographique, elle n’est plus du tout justifiée vis-à-vis d’un site dont le contenu est constitutif d’un délit : tout d’abord parce que la sanction doit évidemment être proportionnée à l’infraction ; ensuite parce qu’il appartient au seul juge d’apprécier s’il y a ou non délit.
Cependant, l’ICANN a beau grincer des dents, l’épouvantail systématique du site pédophilo-terroristo-peer-to-peero semble devoir justifier n’importe quoi – pas seulement aux Etats-Unis évidemment. Et ce sont les mêmes qui fustigent les blocages en Egypte, le « couvre-feu numérique » en Libye, le filtrage et la censure en Russie, etc. Tout cela alors que tout le monde sait bien que les sites réellement problématiques s’organisent depuis longtemps des dispositifs de cryptage de haute volée et des réseaux privés.
Il est temps que les institutions internationales s’organisent pour une véritable gouvernance de l’Internet ; belle porte ouverte d’enfoncée, je sais, mais si Internet est assez important dans sa dangerosité pour justifier des mesures de blocages aussi préjudiciables à la liberté d’expression, il l’est aussi pour justifier de relever de la compétence d’une institution internationale qui sera plus à même de résister aux pressions des lobbys et de sanctionner les pays qui, tous régimes confondus, se comportent avec le filtrage comme des gamins irresponsables.
Badineuse