vendredi 29 octobre 2010

Tu n'iras pas sur le site de la Carte Musique Jeune

Le site officiel de la Carte Musique Jeune est en ligne, et provoque déjà l'enthousiasme  des foules. A l'occasion de cet heureux évènement, certains ont remarqué l'article 8 des conditions générales d'utilisation du site (improprement appelées mentions légales, mais on ne va pas chipoter, ce n'est pas mon style), qui indique que "l’insertion de liens hypertextes vers toute partie du site carte-musique.gouv.fr est interdite, sauf autorisation préalable et écrite du ministère de la culture et de la communication." Belle entrée en matière, qui reflète la volonté sans cesse répétée du ministère de la Culture de se ménager les faveurs d'Internet.

Depuis, tout le monde retire ses liens, avec des edit haineux en expliquant la raison. C'est la raison pour laquelle je me permets ces quelques lignes, pour signaler en substance que tout ça c'est des conneries.

A mon humble avis de future avocat qui passe ses soirées à rédiger ce genre de conditions, parce que c'est chiant et donc c'est la stagiaire qui se le tape, le principe juridique de base est la liberté d'établissement des liens hypertextes étant donné que *attention scoop* : "la raison d'être d'Internet et ses principes de fonctionnement impliquent nécessairement que des liens hypertextes et intersites puissent être effectués librement" (Tribunal de commerce de Nanterre, 8 nov. 2000, Juris-Data n°182583).

Bien évidemment, les abus sont en revanche susceptibles d'être sanctionnés : l'utilisation systématique de liens profonds, renvoyant directement aux différentes pages du site et pouvant être préjudiciables à l'exploitation normale du site ; les frames, qui affichent directement sur un site le contenu d'un autre ; l'extraction de la base de données d'un site par le biais de liens qui en tirent et réutilisent automatiquement les informations sur un autre site...  Evidemment, il y a de quoi faire et il est légitime que les sites se protègent de tels comportements.

Cependant, ce n'est pas en incluant une clause aussi stricte (et pourtant floue) qu'un site pourra se protéger. La clause telle qu'elle est rédigée est d'hors et déjà inapplicable, car les moteurs de recherche qui référencent le site et sont nécessaires à son trafic, sont en violation de cette obligation. A moins que Google n'ait pris son plus beau stylo pour demander à la Culture sa petite autorisation, qui lui aurait été donnée dans l'heure. A moins encore que le terme extrêmement précis d'insertion ne recouvre pas le référencement, auquel cas la clause devient complètement inutile. Par ailleurs, à aucun endroit du site l'internaute n'est invité à accepter ces conditions d'utilisation ; en l'absence de consentement exprès, il n'y a aucune raison pour que cet internaute soit réellement lié par ces conditions. A fortiori quand l'internaute, comme moi, n'a jamais mis les pieds sur ce fichu site, et peut malgré cela insérer un lien vers lui. Et étant donné que le trafic du site repose essentiellement sur les articles qui signalent son arrivée, il est peu probable que le lien vers sa page d'accueil, à titre pur et simple d'information, puisse être reconnu comme préjudiciable.

Enfin, sortons du juridique, et demandons-nous, au coeur de notre moi-profond, s'il était vraiment diplomatique d'insérer (sur le site de la Carte Musique Jeune) une stipulation aussi bêtement coercitive au moment du lancement d'une offre déjà assez controversée ?


Badineuse

PS : A l'attention des potentiels blogueurs, journalistes, chasseurs de ragondins qui me lisent, je vous conseille également, sur l'insertion de liens hypertextes :

 
- un article d'Olivier Iteanu sur le sujet, et absolument pas à propos, il vient de publier un charmant résumé sur l'Hadopi sur son blog [ zOMG un lien profond!! ]
- la recommandation du Forum des droits sur l'Internet [ I... I can't stop... :( ]

lundi 25 octobre 2010

not here not here not here


Je poste pas parce que je suis partie tuer des chatons (et des thons rouges).

Bon lundi à toi

jeudi 14 octobre 2010

Dans la série des concepts fumeux, je demande le droit à l'oubli

Eric Schmidt, PDG de Google de son état, énonçait en 2009 une phrase devenue culte au sujet de la vie privée sur Internet, "if you have something that you don't want anyone to know, maybe you shouldn't be doing it in the first place". Dans la même veine, le même farceur avait trouvé la solution miracle à opposer à toutes ces tracasseries sur la vie privée : il suffit de changer de nom. duh...

Ce genre de remarques pragmatiques, ajoutées à la peur sourde de tout un chacun de voir resurgir des photos de soirées arrosées en bonne compagnie au milieu d'une candidature pour le poste d'expert-comptable de l'évêché de Pouilly-les-Canards, ont amenées les citoyens impliqués que nous sommes à s'interroger sur la création d'un droit à l'oubli.

Droit à l'oubli numérique, c'est-à-dire la garantie pour chaque personne que dans un certain délai, certaines informations seront effacées des fichiers, des articles et des archives des tiers, afin qu'Internet ne devienne un réservoir de dossiers compromettants sans rapport avec la mémoire humaine.

Le problème n'est pas exactement nouveau, depuis les 8000 ans et des poussières qu'existe l'écriture. N'en déplaise aux hautes instances de Google et leur doctrine de vie, les délinquants bénéficient d'un droit à ce que leurs actes ne soient plus évoqués ni mentionné dès lors que l'infraction est prescrite ou a été couverte par une amnistie (art. L133-11 du Code pénal et 35 de la loi sur les infractions de presse de 1881). A fortiori une personne ayant commis des faits qui ne sont même pas pénalement (ou civilement) répréhensibles, mais dont la conservation pourrait lui être socialement préjudiciable, devrait pouvoir bénéficier d'un droit à ce que ces faits puissent être effacés des fichiers d'autrui.

Si je t'en parle de façon un peu inattendue, c'est parce que : (1) j'en ai assez de parler d'Hadopi, de processus législatifs aberrants du genre je te rédige un décret contra legem sur un coin de table pour sanctionner ton comportement qui exploite l'une des milliers de failles que j'avais pas vue de ma loi rédigée sur le même coin de table trois mois avant, tiens, ça t'apprendra à avoir un service juridique sale con,  et que (2) une Charte sur le droit à l'oubli vient d'être signée.

Elle vise "les sites collaboratifs" et les "moteurs de recherche", or, ironie du sort, ni Facebook ni Google ne sont signataires (Google explique sur Numerama qu'il préfère te laisser contrôler tes données tout seul, isn't that cute ?). Cela relativise d'emblée la portée de cet acte, pourtant intéressant. A part ça, on compte tout de même (entre autres) Microsoft France, Copainsdavant, les Pagesjaunes, Skyrock et un cabinet d'avocat ( ? ). Portée limitée encore, dès lors que le préambule signale que les données concernées par la Charte sont celles "publiées intentionnellement par les internautes", ce qui exclue d'emblée tout le flux de données involontairement publiées ou révélées par des tiers. Or ce sont justement ces données sur lesquelles les internautes ont le moins de contrôle, car le moins d'informations.

Passons sur les objectifs de pédagogie de la Charte, de sensibilisation, éducation, cocoonisation des internautes, et arrivons aux vrais axes de réflexion, qui sont de protéger les données personnelles de l’indexation automatique par les moteurs de recherche, et de mettre en place des outils permettant de mieux appliquer la loi de 1978 Informatique et libertés, en permettant de mieux localiser les informations et de pouvoir les signaler pour en assurer le retrait.

La "dé-indexation" est ainsi au coeur de la Charte, ce qui a de quoi surprendre comme façon d'aborder le concept de droit à l'oubli. C'est ma façon de voir, mais j'estime qu'on fait de la demi-mesure, en passant par les intermédiaires, les moteurs de recherches, les moyens de diffusion, sans s'intéresser au principal problème qui est le contenu : ce n'est pas exactement de la responsabilité de Google si des informations préjudiciables trainent sur les gens sur Internet, bien au contraire.

A force de s'intéresser aux intermédiaires genre Google & Facebook qui sont les boucs-émissaires actuels de l'Internet, on en oublie la désinvolture avec laquelle les personnes physiques sont mentionnées dans les médias, les blogs, les sites amateurs ou professionnels, etc. Et sur ce problème là, aucune sensibilisation ni éducation pour tenter de faire comprendre aux nouveaux éditeurs de contenus leur responsabilité morale dans la diffusion d'informations relevant de la vie privée de personnes tierces. Qui n'a jamais menacé (souvent en vain) ses amis des pires représailles si les photos de la dernière soirée sont publiées & taggées...?

Le "droit à l'oubli", ce n'est qu'un énième "droit à..." flou et inapplicable, qui sert à faire croire aux internautes que l'Etat va lui accorder des garanties et prérogatives qui changeront sa vie. Après, qu'on s'étonne d'avoir des autorités administratives qui viennent se mêler de réguler le Net, quand nous sommes si prompts à invoquer des droits subjectifs que seules des institutions peuvent nous garantir.

Le "droit à l'oubli", c'est à chacun de l'appliquer pour les autres... Le droit ne devrait pas avoir à intervenir plus qu'il n'intervient déjà par la législation sur la presse. En revanche, si on veut jouer au droit subjectif, je ne peux que soutenir l'idée d'un "droit à l'anonymat", autrement plus opérationnel comme concept, bien que l'idée d'anonymat n'aie pas bonne presse, on en a déjà parlé ici (et là je coule à jamais mon blog en te renvoyant sur un autre blog tellement bien que tu n'en sortiras plus jamais : pour l'explication de l'idée de droit à l'anonymat, Me Olivier Iteanu, "Droit à l'oubli numérique, hétéronymat et cassoulet", mais pour une fois qu'un blog juridique n'est pas une manifestation de la honteuse prédominance des blogs pénalistes, je ne peux pas le passer sous silence.)

Bonne lecture :) 


 
Badineuse


vendredi 8 octobre 2010

AFNIC et noms de domaine : l'art législatif français à nouveau récompensé

Le petit monde du .fr est en émoi.

Le Conseil constitutionnel a rendu il y a deux jours une décision en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, décision qui abroge ni plus ni moins l'un des piliers de la législation sur les noms de domaine en .fr, l'art. L45 du Code des postes et communications électroniques.

Cet article prévoit comment sont désignés les organismes chargés d'attribuer et de gérer les noms de domaine du .fr et comment ceux-ci sont censés s'occuper de ces noms de domaine : l'encadrement de l'action de ces organismes par cet article est un modèle du genre, l'organisme devant exercer son activité "dans l'intérêt général, selon des règles non discriminatoires rendues publiques et qui veillent au respect, par le demandeur, des droits de la propriété intellectuelle". Là, tu vois, l'organisme est vachement bien encadré, avec ça, pas de risque d'abus.

L'organisme qui s'est autoproclamé  chargé officiellement de l'attribution et de la gestion des noms de domaine en .fr est actuellement l'AFNIC, Association Française pour le Nommage Internet en Coopération, ancien NIC-France. N'étant pas un établissement public, ni investie à l'origine d'une quelconque mission de service public, la légitimité de l'AFNIC a souvent été remise en cause, d'autant plus que ses strictes procédures d'attribution des noms de domaine ont été mal vécues par un secteur qui nécessitait une certaine souplesse. L'AFNIC est à présent reconnue officiellement comme office d'enregistrement du .fr pour une durée de 7 ans et sa gestion est sous convention avec l'Etat (ce qui m'interpelle d'ailleurs, si un publiciste pouvait m'expliquer la nature d'un tel contrat public/privé...).

Malgré ces chefs d'oeuvre réglementaires, un vilain empêcheur de légiférer en rond a osé se servir d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour se plaindre et faire "grief à ces dispositions de laisser à l'autorité administrative et aux organismes désignés par elle une latitude excessive pour définir les principes d'attribution des noms de domaine et d'omettre ainsi de fixer un cadre minimal et des limites à leur action, en méconnaissance de l'étendue de sa propre compétence par le législateur".

Oser dire que notre législateur bien-aimé fait mal son boulot, surtout dans le secteur des nouvelles technologies, mondieumondieu que les gens sont ingrats aujourd'hui cétypacroyable.

Et le Conseil constitutionnel de donner raison au fâcheux, en estimant que le législateur avait méconnu sa propre compétence qui est de déterminer les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales (art. 34 de la Constitution), en :
  • n'établissant aucune garantie contre les atteintes à la liberté d'entreprendre et à la libre communication des pensées et des opinions ; et en
  • renvoyant à un décret en Conseil d'état le pouvoir d'encadrer les conditions dans lesquelles les noms de domaine sont attribués ou peuvent être renouvelés, refusés ou retirés.
En français, fichue feignasse de législateur incapable, non seulement tu n'es pas foutu de te référer à trois ou quatre libertés fondamentales pour que ta loi soit un minimum crédible, mais en plus dès que ça se complique tu refiles le boulot aux autres, c'est à se demander à quoi ça sert d'avoir un Parlement.

Cela pourrait être assez marrant, tout le dispositif législatif et réglementaire du .fr qui s'écroule, toutes les attributions prises sur ces fondements remises, le chaos total... Néanmoins le Conseil est une réunion de gens sérieux, dommage, et l'abrogation de l'article L45 ne se fera que le 1er juillet 2011, tandis que les actes pris sur son fondement dans le passé ne sont pas non plus remis en cause jusqu'à cette date : d'ici là, le législateur va devoir se botter le train pour pondre un texte acceptable et éviter le ridicule total, s'il n'est pas déjà consommé, du nom de domaine .fr sans cadre légal - évitons également de voir resurgir la merveilleuse gestion de l'AFNIC d'avant 2004...

Vu l'encombrement du calendrier législatif 2010-2011, on peut finalement reconnaître au Conseil un grand sens de l'humour !


Badineuse

mardi 5 octobre 2010

Free from Hadopi, ou comment se faire facilement de la pub

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MàJ : nous parlions de mesquinerie... Numéricable invite la Haute Autorité à sanctionner les opérateurs récalcitrants

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Tu n’as pas dormi de la nuit non plus, je le sais, je te comprends : les premiers mails Hadopi, avertissant les internautes négligents que leur connexion est le lieu du vice, sont partis. Ce sont les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) qui sont censés les transmettre à l’abonné, au nom et pour le compte de la Hadopi (L331-225 du Code de la propriété intellectuelle).

Classement des bons élèves, Bouygues et Numéricable semblent avoir été les premiers à le faire, suivis hier par Orange et SFR.

Il ne manquerait pas quelqu’un… ? En effet, on attend toujours l’envoi des mails par Free, qui a cependant annoncé qu’il se refusait à le faire. Raison invoquée, la signature d’une convention avec la Haute Autorité, convention dont l’existence même fait débat : la Hadopi prétend ne pas avoir la moindre d’idée de quoi il est question, tandis que l’évocation d’une convention dans le décret du 5 mars 2010 renvoie aux conditions d’interconnexion des fichiers de données personnelles des opérateurs avec le fichier géré par la Hadopi. Autrement dit rien à voir avec l’envoi des mails.

La Hadopi a cependant rappelé dans cette affaire que l’envoi des mails par les FAI était une obligation légale, qui n’était conditionné par aucun conventionnement ; remarquons que le fait que cette obligation ne soit accompagnée d’aucune sanction ne lui enlève aucunement son caractère impératif.

Cela n’est pas la première fois que Free traine les pieds pour se soumettre aux obligations imposées par le dispositif Hadopi. Déjà, lorsqu’il s’était agi de communiquer à la Haute Autorité les données d’identification des internautes concernés par les avertissements, Free avait manifesté son désaccord, puis aurait envoyé ces données sous forme papier – très exploitable & peu encombrant. Sur ce coup-là, Free n’a pas osé faire obstruction totale, car la non communication de ces données par les FAI constitue une contravention de cinquième classe, sanctionnée par 1 500 euros d'amende par IP non identifiée (R331-37 et R331-38 du CPI). En revanche, rien ne l’obligeait à transmettre les données sous forme numérique. De la résistance sans risque.

A présent, Free estime appliquer la loi a minima, en trouvant un moyen terme entre la coopération avec la Hadopi et le simple respect de la loi. Dès lors que celle-ci prévoit une obligation de faire, je ne vois pas bien ce qu’ils entendent par là –mais comptons sur eux pour trouver…

La raison de ce comportement est simple – un peu mesquine malheureusement. C’est bien joli d’employer des termes comme « collaborer », pour désigner l’envoi des mails par les autres opérateurs, mais tout ceci reste une histoire de gros sous… Se fondant sur une décision du Conseil constitutionnel n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000 (mais arrête donc de cliquer sur tous les liens que je mets, genre tu vas lire 50 considérants relatifs à une loi de finance, franchement), selon laquelle les dépenses étrangères à l’exploitation des réseaux de télécommunication et imposées par le législateur pour des considérations d’ordre public et/ou d’intérêt général de la population, ne sauraient incomber directement aux opérateurs (csd. 41), Free refuse catégoriquement de prendre en charge ces frais.

D’où l’évocation d’une hypothétique convention, en réalité un gros appel du pied à remettre sur le tapis la question de la prise en charge des frais, suite à quoi il semble évident que l’opérateur « collaborera », comme tous les autres, après le délai qu’il faut décemment respecter pour se faire passer pour un acteur du mouvement anti-Hadopi. Guerre d’image de marque, ce que la Haute Autorité n’a pas manqué de relever en en pointant les conséquences pour les abonnés, qui ne seront donc pas informés de leur premier avertissement, et ne recevront que le deuxième, par lettre recommandée.

Je te recommande donc le streaming et la FNAC.


Badineuse

samedi 2 octobre 2010

Droit de la concurrence, le nouveau droit d'auteur

Un mot sur le droit d'auteur, puisqu'on en parle pas assez, et que ni toi ni moi n'avons envie de nous associer au lynchage en règle du nouveau site de la Hadopi, qui malgré ses nombreux manques, constitue pourtant une avancée majeure au niveau de la communication des AAI ; que ses détracteurs aillent voir un peu le site de l'ARMT, prédécesseur de l'Hadopi ou pire encore, celui de l'Autorité de la concurrence, pour saisir ce que peut être un site indifférent au grand public.

Sans tomber dans l'étude obsessionnelle des choix graphiques et étymologiques de notre-autorité-préférée, on peut se demander ces jours-ci à quoi va-t-elle servir du point de vue du droit d'auteur. Certes de jolis mails bleu et blanc - on est très zen à la Hadopi-, vont être envoyés aux utilisateurs négligents, certes des connexions vont être suspendues pour la plus grande gloire de la propriété intellectuelle. Cependant l'a Hadopi assume également un rôle pédagogique conséquent, eu égard à l'impopularité actuelle du droit d'auteur : la Haute Autorité est devenue par assimilation la représentante du droit d'auteur, avec la fonction schizophrène d'appliquer le droit d'auteur et de le réformer en l'adoptant à la réalité sociale.

Or la régulation du secteur a été jusqu'à présent totalement accaparée par un autre pan du droit, qui lui, ne souffre d'aucun problème de légitimité : le droit de la concurrence. Par une bizarrerie dont seuls les juristes ont le secret, la Commission européenne ainsi que les autorités nationales de la concurrence se sont mises en devoir, il y a plus de dix ans, de modérer les excès du droit d'auteur, pour laisser la place à la liberté du commerce et de l'industrie : l'affaire Microsoft, qui semblait sans fin, a fini par aboutir à la divulgation des informations nécessaires à l'interopérabilité et à la limitation des ventes liées, la décision iPhone a indirectement permis la fin des exclusivités de distribution conclues avec Orange, etc. 

Ainsi la Hadopi arrive dans un terrain qui semble déjà perdu : que ce soit sur le plan des faits, une bonne part des internautes étant excédée, guettant le moindre faux pas ; que sur le plan du droit, avec les autorités de la concurrence qui ont le beau rôle. Il suffit de regarder la violence avec laquelle les représentants de la Commission européenne se permettent de parler des modèles propriétaires, fermés, quintessence du droit d'auteur ; il suffit de citer la vice-présidente à la stratégie numérique Neelie Kroes, notamment à l'Open Forum Europe 2010 pour comprendre que le devoir de réserve n'est pas de mise lorsque l'on évoque le si détesté droit d'auteur...
"Let's imagine two competing standards that are both technically excellent for a certain task but differ in the level of constraints for implementers. Which of these two standards do you think will see more implementation and use, including for unforeseen purposes? The one that you can download from a website and that you can implement without restrictions? Or the other one which you have to buy, which is restricted to certain fields of use and which requires royalty payments for embodied intellectual property rights (IPR)?"

Ce genre de parti pris simpliste, exprimé pourtant par un représentant des institutions européennes a de quoi choquer. La grande réforme du droit d'auteur que tout un chacun réclame risque de s'opérer avec autant de lobbyisme et d'influences extérieures que durant les votes des lois Dadvsi, Hadopi, et autres chefs-d'œuvres. Le droit de la concurrence aura beau jeu de continuer à imposer une logique purement commerciale et industrielle à un droit d'auteur qui souffre déjà bien trop de l'intrusion de ces impératifs. Le droit d'auteur n'est pas une opinion politique, pas plus que la Hadopi n'est un parti ; la Commission ne devrait pas inciter à la radicalisation des positions, en laissant croire aux internautes que la suppression de la propriété intellectuelle est envisageable... Car finalement, il suffit du plus petit aménagement proposé par les parangons du droit d'auteur et du modèle propriétaire à outrance, pour que les autorités de la concurrence abandonnent leurs actions.

En attendant, laissons la Hadopi tenter d'accomplir sa mission profonde qui est de créer une véritable offre légale, et d'instiller dans le droit d'auteur le minimum de bon sens qu'il faudrait pour comprendre que la marée de citoyens qui se retrouvent en situation de délinquance ne constituent qu'une réalité sociale qu'il va bien falloir finir par prendre en compte.



Badineuse