vendredi 23 juillet 2010

Ultra-Violet, enfer et bonnes intentions

 
Terminons en beauté la semaine par l'annonce du grand retour des DRM : le consortium Digital Entertainment Content Ecosystem (DECE) développe un "verrou numérique" poétiquement nommé UltraViolet qui résoudrait la principale faiblesse juridique et technique des DRM classiques, leur absence d'interopérabilité.


Si tu cherches rapidement DECE sur Wikipedia.fr, tu tombes sur la biographie de Trajan ; aussi intéressant et surprenant soit le péril goth, je me suis dit que ce serait plus simple de te résumer UV ici. (naaan je plaisante, tu peux partir, tout est sur wikipedia.org... En revanche ne compte pas sur le site de présentation aussi design que dénué d'informations).


La théorie Ultra-Violet


Concrètement, il semble que DECE soit une idée 2008 de Sony Pictures Entertainment, qui réunit aujourd'hui une soixantaine de grands industriels du contenu et de la high-tech autour d'une idée : un environnement verrouillé par le biais d'un standard réellement interopérable.


La gestion s'opère en cloud-computing, par le biais d'une bibliothèque numérique qui stocke les contenus achetés ; la lecture de ces contenus est possible depuis tous les matériels compatibles (= enregistrés auprès du gestionnaire du domaine) après identification de l'utilisateur sur son compte personnel.


L'intérêt pour les consommateurs est d'être à peu près certains de pouvoir lire leur contenu sur n'importe quel support, chose que les anciens DRM ne garantissaient pas, loin de là. On a beau arriver à faire pleurer le péquin moyen sur la misère de l'auteur dont tout le monde pirate les CDs (pourtant bradés à 30 euros chez ton disquaire préféré, sale radin va), ledit péquin peut se sentir pris pour un con lorsque son CD légal est illisible sur sa petite hi-fi, s'arrête systématiquement en cours de lecture, ou fait planter son ordi.


L'intérêt pour les industriels est d'avoir un verrou numérique qui ne risque plus de se faire recaler par les autorités de la concurrence et/ou par les associations de consommateurs pour son absence d'interopérabilité (et son manque de fiabilité technique, mais passons...). La présence d'importantes firmes du hardware permettra d'avoir un large panel de matériel compatible, tandis que les grands du contenu réuniront une majorité d'œuvres protégées par ce système.


Tu me vois venir, on a fini la partie faussement positive, maintenant on va parler du sérieux.


La pratique Ultra-Violet


Déjà, si Sony a réussi à réunir autour une sacrée brochette de grands noms du divertissement, la haine du pirate n'est pas parvenue à mettre en place l'union sacrée dont nous rêvons tous pour bouter le consommateur hors de The Pirate Bay.


Par exemple, tu ne vas pas le croire, mais Apple n'a pas voulu participer au projet ; tu me diras, sa distribution de contenus est déjà parfaitement verrouillée par ce que PCInpact nomme si joliment un "écosystème numérique complet comprenant les appareils (ordinateurs, iPod, iPhone, iPad…) et le service de téléchargement de contenus qui va avec (iTunes Store)". Sans le premier vendeur mondial de musique et de lecteurs MP3, UltraViolet aura du mal à instaurer l'ère de l'interopérable. D'un autre côté, tout projet lié à l'interopérabilité se fera systématiquement sans Apple, sauf violent revirement stratégique de notre entreprise préférée.


Autre grand absent, cette fois dans les contenus, Disney, qui bidouille lui-même sa technologie Keychest dans son coin (le Kingdom Hearts IRL, le but c'est de tout verrouiller).


De plus, quelle surprise, UltraViolet ne provoque pas l'enthousiasme des foules du Web. Dans la droite ligne de la méfiance usuelle envers les DRM, Linuxfr s'est fendu d'un article soulignant "la manœuvre des grandes firmes, qui veulent unifier les DRM autour d'une norme unique et contrôler de bout en bout la diffusion du contenu". D'autres s'interrogent à mi-voix sur les problèmes de conservation des données personnelles de l'utilisateur (la peur panique du "fichage") dès lors que son matériel est enregistré, ses contenus sont conservés à distance, etc. Nombreux encore sont ceux qui déplorent la nécessité engendrée par UltraViolet d'être systématiquement connecté à Internet pour accéder au service et permettre la vérification des droits.



Le destin d'Ultra-Violet


Je crois beaucoup en l'incompétence humaine, et je pense qu'UltraViolet n'est pas encore arrivé même s'il est annoncé pour la fin de l'année (comme les mails Hadopi...^^). De nombreux projets du genre ont déjà échoué et je ne te parle même pas de la frénésie des éditeurs de jeux videos de mettre partout du DRM connecté en live, tendance qui se solde systématiquement par des plantages mondiaux comme pour Assassin's Creed II, Spore, Silent Hunter 5...


En plus de n'être pas au point, l'incapacité chronique de ses auteurs à se mettre d'accord détruit la logique du système. Un DRM qui n'est pas totalement interopérable n'est pas viable, il reste juridiquement fragile et incite même les consommateurs légaux à le contourner. Un DRM totalement interopérable serait un DRM libre. Et un DRM libre, c'est con...


Après, je ne peux que saluer cette belle tentative de jouer le jeu de l’interopérabilité, malgré tout, ça fait quand même plaisir de voir que contraintes, forcées, assignées, condamnées, les industries du divertissement s'y mettent.



Badineuse

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