vendredi 10 décembre 2010

Wikileaks & Anonymous, pour le meilleur et pour le pire

Les tentatives de musèlement de Wikileaks ont provoqué un raz-de-marée sur Internet, en ce qu’elles ont réveillé la Bête en la personne des Anonymous.

Il faut reconnaître que Wikileaks a pris cher durant le déroulement du Cablegate. Au bout de quelques heures de publication, Wikileaks recevait des attaques par déni de service (DDOS) d’une intensité de plus de 10Go/s. La saturation du site ne suffisant pas, ce sont les sources d’approvisionnement de Wikileaks qui ont été fermées les unes après les autres, Mastercard puis Visa et enfin Paypal gelant les comptes, sans compter les pressions exercées sur les hébergeurs de Wikileaks.

C’est alors que pour protester contre ces actions, plusieurs initiatives se sont fait jour. Les plus défensives ont utilisé massivement des sites miroirs, créant ainsi des répliques innombrables des données de Wikileaks et empêchant de facto leur disparition.

Les plus agressives sont bien sûr parties (à moins qu’elles n’aient instinctivement rejoint) les Anonymous, donnant un nouveau visage à l’Operation Payback, pour pilonner systématiquement les organismes qui s’étaient opposés à (ou avaient lâché) Wikileaks. Les sites de Visa, de Mastercard, de l’hébergeur Amazon et de Paypal, ont subi de fortes attaques. 

A présent, certains médias commentent ces attaques « pirates » en se pincant le nez, et en mélangeant de façon déplorable piratage, botnet, hacking, machine zombie, et j’ai cru entendre parler de P2P mais ça m’a tellement déprimée que j’ai éteint. 

Quelle légitimité pour l’Operation Payback ? 

Evidemment, c’est pas bien, derrière ces boites, il y a des salariés qui ont passé une sale nuit à désengorger leur pauvres serveurs, il y a des respos informatiques qui ont dû se faire engueuler, il y a plein de gens qui paient pour une décision prise en haut lieu, évidemment le DDOS est illégal. 

Cependant, toutes les actions contre Wikileaks ne reposent sur aucun fondement juridique tangible (j’entends par là une décision de justice, ayant qualifié l’activité de Wikileaks d’illégale). Sans même parler de la honteuse utilisation de DDOS par des organismes probablement étatiques, il faut bien se rendre compte ici que des sociétés privées ont pris sur elles de couper les vivres à un organe d’information, sur la seule base d’une illégalité arguée et surtout d’une hostilité à l’action de Wikileaks. 

Qu’on s’étonne ensuite qu’une communauté aussi émotive que les Anonymous en particulier, et Internet en général, soit montée au créneau pour défendre Wikileaks par tous les moyens possibles. Comment reprocher aux « pirates » d’utiliser des méthodes illicites quand une banque asphyxie son client sans raison autre que politique ? 

L’illicéité de leurs actions n’est pas forcément justifiable, elle est cependant compréhensible, comme toute réaction d’indignation instinctive face à une injustice patente, que les anons ne sont pas les seuls à dénoncer, loin de là.

Quant à comparer un DDOS à une manifestation d’un nouveau genre, comme un sit-in, j’ai des doutes, le côté pacifique manque un peu… Cependant il semblerait que l’attaque contre Paypal par exemple n’a visé que le blog et non la partie commerciale du site, ce qui réduirait considérablement le préjudice invocable par Paypal. Quoiqu’il en soit, ne te fais pas d’illusions, ça risque de mettre du temps à être considéré comme tel… 

[Voir là-dessus : Evgeny Morozov, Parsing the impact of Anonymous, découvert grâce à l’article d’Olivier Tesquet, La guerre de l’information n’est pas la cyberguerre]

… Pour quelles conséquences ?

L’Operation Payback est-elle une bonne chose pour Wikileaks ? 

La volonté de défendre Wikileaks en attaquant ses détracteurs n’arrange pas exactement son image. Wikileaks se pose en défenseur de la liberté d’information et se voit suivie par un mouvement dont les blocages s’apparentent plus à de la censure et de la violence numérique que de la diffusion d’idées… 

Facile ensuite médiatiquement d’assimiler Wikileaks à des vilains-pirates, en mélangeant joyeusement tous les concepts, facile de décrédibiliser la démarche de libération des informations par celle de piratage, etc. Wikileaks est malheureusement menacé, pas la peine de l’enfoncer. Par ailleurs, Assange lui-même se doute probablement de l’effet dévastateur d’une telle assimilation et cherche à s’en distancier, peut-être simplement pour ne pas aggraver son cas auprès des autorités. 

Une parenthèse personnelle également sur les conséquences d’une Operation Payback orientée vers Wikileaks pour Anonymous eux-mêmes : leurs actions étaient au départ plutôt tournées vers le lol & lulz, et deviennent tristement sérieuses dans leurs préoccupations ces derniers temps. Cela avait commencé par les actions contre les parangons du droit d’auteur, objectif originel de l’Operation Payback, et cela se poursuit aujourd’hui par la défense de Wikileaks, avec une furieuse tendance à en faire une guerre des bons contre les méchants. 

Malheureusement, la beauté des Anonymous était jusqu’à présent de maintenir presque naturellement une coordination dans son mouvement, étant donné que les attaques étaient ponctuelles, émotionnelles, liées à une indignation temporaire ou un buzz humoristique. A présent que les membres se tournent vers le politique pur, il commence à y avoir des dissensions, on passe d’une cible à une autre, les informations circulent plus mal eu égard à la fermeture des comptes par twitter, facebook, l’indisponibilité de l’irc, etc. Malgré le travail réel de coordination, cela devient un peu bordélique (et puis carrément moins marrant.)


Une initiative peut, peut-être, rendre sa cohérence à cette action, l’Operation : Leakspin.



Exposure, donc, c’est-à-dire faire sortir les leaks les plus sensibles, et les diffuser au maximum en les regroupant par trends & tags significatifs pour la communauté. La logique de cette démarche est beaucoup plus en accord avec la philosophie de diffusion et de liberté d’information de Wikileaks que la logique de blocage qu’un DDOS implique nécessairement. Par ailleurs, ceci permet la dispersion des sources de leaks et protège ainsi l’intégrité des informations diffusées, tout comme les miroirs de Wikileaks l’ont fait ces derniers jours. 

A suivre, avec plaisir !!! http://operationleakspin.org/

1 commentaire:

  1. je sais que l'objet de ce blog n'est que de parler des nouvelles technologies en elles-mêmes sans forcément prendre parti, mais je trouve que tu évacues un peu vite le débat sur la gravité des actes de wikileaks. Les docs diffusés mettent réellement en danger des milliers de gens et des équilibres diplomatiques qui ont mis des décennies à se construire. Parler de "libération d'information" est au mieux angélique, au pire mensonger. Et le fait que la réponse des Etats soit illégale me parait un argument un peu court face aux enjeux géopolitiques concernés. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas légiférer, pour que l'illégal soit légalisé ;-)

    Quoi qu'il en soit, je trouve que le sujet ne fait pas partie des débats "marrants" comme hadopi ou les google cars...

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