dimanche 28 novembre 2010

Ego, Creative Commons et Goncourt 2010

Tout a commencé par un article de Slate.fr, relevant la présence de passages du livre "La carte et le territoire" de Michel Houellebecq ressemblant fortement à des articles de Wikipedia. Au-delà des diverses accusations de plagiat, ce sont les conséquences de ces reprises qui provoquent actuellement un débat passionné : "La carte et le territoire" est-il sous licence Creative Commons ?

Les contenus Wikipedia, pour leur grande majorité, sont sous licence Creative Commons BY-SA 3.0, Paternité - Partage avec conditions identiques à l'initiale. Cette condition de partage implique que "si vous modifiez, transformez ou adaptez cette création, vous n'avez le droit de distribuer la création qui en résulte que sous un contrat identique à celui-ci". 

La généralisation de ce type de clauses dans les licences libres est faite pour créer un phénomène de contamination : la présence d'un simple extrait sous licence CC provoquerait le basculement intégral d'une œuvre sous licence libre. La chose est assez connue en droit de l'informatique, les licences GNU GPL permettant de contraindre les éditeurs à ouvrir les codes sources de leur logiciel, dès qu'un morceau de code sous GNU GPL est détectable.

Le raisonnement théorique se tient, il est même plutôt classique. Cependant un blog l'a formalisé et appliqué de façon extrêmement téméraire, car son auteur en a déduit qu'il pouvait mettre en ligne l'ouvrage en question, pour faire appliquer lui-même ladite licence ; et de passer de la parole aux actes et de publier l'intégralité de "La carte et le territoire". 

Or, certains arguments de poids vont contre ce raisonnement, comme par exemple le fait que les passages sont trop réduits pour justifier une contamination,  ou encore qu'ils relèvent du droit de courte citation. Personnellement, je trouve ces arguments un peu légers. Plus réel en revanche, est le fait que la viralité GNU GPL est une caractéristique bien propre à ces licences et que les CC fonctionnent sur un mécanisme bien différent.

Et ce qui semble surtout évident, c'est que si la violation des conditions énoncées par la licence CC place probablement l'auteur du livre en position de contrefacteur, cela n'autorise personne à mettre en ligne ni à télécharger ledit bouquin.

Seules trois parties peuvent décider d'une telle ouverture, à mon sens : l'auteur lui-même, comme beaucoup d'éditeurs de logiciel le font, pour éviter un long procès et faire amende honorable pour un plagiat souvent involontaire ; le juge, évidemment, en demandant la mise en conformité de la distribution de l'ouvrage à la licence de laquelle il relève ; et peut-être, mais c'est risqué, la partie lésée, qui en l'espèce est un contributeur anonyme de Wikipédia, ce qui rendrait cette initiative encore plus dangereuse. 

Dangereuse pour l'auteur du blog qui a mis en ligne l'ouvrage mais surtout pour ceux qui vont  le télécharger , et qui deviennent eux-mêmes contrefacteurs. 

En tant que juriste spécialisé en nouvelles technologies, l'auteur aurait dû réaliser qu'un raisonnement juridique n'est rien tant qu'il n'est pas soutenu par des décisions de justice, ou au moins une doctrine. Les arrêts cités dans l'article sont malheureusement soit étrangers, soit tellement ambigus qu'ils ne valent pas grand chose dans ce débat. Or si un avocat peut goupiller des raisonnements contestables quand il s'agit de défendre un client - on fait avec ce qu'on a - il est totalement irresponsable de pousser les gens à se mettre dans l'illégalité pour faire un buzz, sans aucune certitude que les juges suivront. Parce que même si ce raisonnement était le bon, il n'y a aucune garantie que les juges le retiennent, la France n'étant pas spécialement pionnière dans sa législation sur le droit d'auteur et le libre...

L'éditeur du livre a annoncé sa volonté d'engager des poursuites judiciaires, la communauté du libre s'énerve en pensant au préjudice porté à son image, le blog est inondé de critiques violentes et de vieilles vidéos consternantes tournées par l'auteur du blog ressortent des placards, probablement grâce à ses sympathiques compagnons de fac... C'est un peu triste, mais probablement mérité.


Badineuse

PS : il paraît que cet article n'est pas drôle, toutes mes excuses, mais cette histoire me fait moyennement rire...

Edit : voir également, pour une approche presque distributive, basée sur la distinction entre oeuvre dérivée et oeuvre collective, ce qui permettrait de ne soumettre à la CC que l'oeuvre dérivée, soit les passages adaptés de Wikipedia, sans que l'oeuvre totale, oeuvre collective, ne subisse la potentielle viralité de la CC :  S.I. Lex, Houellebecq : extension du domaine de l'effet viral ? J'espère que le manque de clarté de ma phrase ne te dissuadera pas d'aller voir cet excellent article.

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