vendredi 8 octobre 2010

AFNIC et noms de domaine : l'art législatif français à nouveau récompensé

Le petit monde du .fr est en émoi.

Le Conseil constitutionnel a rendu il y a deux jours une décision en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, décision qui abroge ni plus ni moins l'un des piliers de la législation sur les noms de domaine en .fr, l'art. L45 du Code des postes et communications électroniques.

Cet article prévoit comment sont désignés les organismes chargés d'attribuer et de gérer les noms de domaine du .fr et comment ceux-ci sont censés s'occuper de ces noms de domaine : l'encadrement de l'action de ces organismes par cet article est un modèle du genre, l'organisme devant exercer son activité "dans l'intérêt général, selon des règles non discriminatoires rendues publiques et qui veillent au respect, par le demandeur, des droits de la propriété intellectuelle". Là, tu vois, l'organisme est vachement bien encadré, avec ça, pas de risque d'abus.

L'organisme qui s'est autoproclamé  chargé officiellement de l'attribution et de la gestion des noms de domaine en .fr est actuellement l'AFNIC, Association Française pour le Nommage Internet en Coopération, ancien NIC-France. N'étant pas un établissement public, ni investie à l'origine d'une quelconque mission de service public, la légitimité de l'AFNIC a souvent été remise en cause, d'autant plus que ses strictes procédures d'attribution des noms de domaine ont été mal vécues par un secteur qui nécessitait une certaine souplesse. L'AFNIC est à présent reconnue officiellement comme office d'enregistrement du .fr pour une durée de 7 ans et sa gestion est sous convention avec l'Etat (ce qui m'interpelle d'ailleurs, si un publiciste pouvait m'expliquer la nature d'un tel contrat public/privé...).

Malgré ces chefs d'oeuvre réglementaires, un vilain empêcheur de légiférer en rond a osé se servir d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour se plaindre et faire "grief à ces dispositions de laisser à l'autorité administrative et aux organismes désignés par elle une latitude excessive pour définir les principes d'attribution des noms de domaine et d'omettre ainsi de fixer un cadre minimal et des limites à leur action, en méconnaissance de l'étendue de sa propre compétence par le législateur".

Oser dire que notre législateur bien-aimé fait mal son boulot, surtout dans le secteur des nouvelles technologies, mondieumondieu que les gens sont ingrats aujourd'hui cétypacroyable.

Et le Conseil constitutionnel de donner raison au fâcheux, en estimant que le législateur avait méconnu sa propre compétence qui est de déterminer les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales (art. 34 de la Constitution), en :
  • n'établissant aucune garantie contre les atteintes à la liberté d'entreprendre et à la libre communication des pensées et des opinions ; et en
  • renvoyant à un décret en Conseil d'état le pouvoir d'encadrer les conditions dans lesquelles les noms de domaine sont attribués ou peuvent être renouvelés, refusés ou retirés.
En français, fichue feignasse de législateur incapable, non seulement tu n'es pas foutu de te référer à trois ou quatre libertés fondamentales pour que ta loi soit un minimum crédible, mais en plus dès que ça se complique tu refiles le boulot aux autres, c'est à se demander à quoi ça sert d'avoir un Parlement.

Cela pourrait être assez marrant, tout le dispositif législatif et réglementaire du .fr qui s'écroule, toutes les attributions prises sur ces fondements remises, le chaos total... Néanmoins le Conseil est une réunion de gens sérieux, dommage, et l'abrogation de l'article L45 ne se fera que le 1er juillet 2011, tandis que les actes pris sur son fondement dans le passé ne sont pas non plus remis en cause jusqu'à cette date : d'ici là, le législateur va devoir se botter le train pour pondre un texte acceptable et éviter le ridicule total, s'il n'est pas déjà consommé, du nom de domaine .fr sans cadre légal - évitons également de voir resurgir la merveilleuse gestion de l'AFNIC d'avant 2004...

Vu l'encombrement du calendrier législatif 2010-2011, on peut finalement reconnaître au Conseil un grand sens de l'humour !


Badineuse

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