jeudi 14 octobre 2010

Dans la série des concepts fumeux, je demande le droit à l'oubli

Eric Schmidt, PDG de Google de son état, énonçait en 2009 une phrase devenue culte au sujet de la vie privée sur Internet, "if you have something that you don't want anyone to know, maybe you shouldn't be doing it in the first place". Dans la même veine, le même farceur avait trouvé la solution miracle à opposer à toutes ces tracasseries sur la vie privée : il suffit de changer de nom. duh...

Ce genre de remarques pragmatiques, ajoutées à la peur sourde de tout un chacun de voir resurgir des photos de soirées arrosées en bonne compagnie au milieu d'une candidature pour le poste d'expert-comptable de l'évêché de Pouilly-les-Canards, ont amenées les citoyens impliqués que nous sommes à s'interroger sur la création d'un droit à l'oubli.

Droit à l'oubli numérique, c'est-à-dire la garantie pour chaque personne que dans un certain délai, certaines informations seront effacées des fichiers, des articles et des archives des tiers, afin qu'Internet ne devienne un réservoir de dossiers compromettants sans rapport avec la mémoire humaine.

Le problème n'est pas exactement nouveau, depuis les 8000 ans et des poussières qu'existe l'écriture. N'en déplaise aux hautes instances de Google et leur doctrine de vie, les délinquants bénéficient d'un droit à ce que leurs actes ne soient plus évoqués ni mentionné dès lors que l'infraction est prescrite ou a été couverte par une amnistie (art. L133-11 du Code pénal et 35 de la loi sur les infractions de presse de 1881). A fortiori une personne ayant commis des faits qui ne sont même pas pénalement (ou civilement) répréhensibles, mais dont la conservation pourrait lui être socialement préjudiciable, devrait pouvoir bénéficier d'un droit à ce que ces faits puissent être effacés des fichiers d'autrui.

Si je t'en parle de façon un peu inattendue, c'est parce que : (1) j'en ai assez de parler d'Hadopi, de processus législatifs aberrants du genre je te rédige un décret contra legem sur un coin de table pour sanctionner ton comportement qui exploite l'une des milliers de failles que j'avais pas vue de ma loi rédigée sur le même coin de table trois mois avant, tiens, ça t'apprendra à avoir un service juridique sale con,  et que (2) une Charte sur le droit à l'oubli vient d'être signée.

Elle vise "les sites collaboratifs" et les "moteurs de recherche", or, ironie du sort, ni Facebook ni Google ne sont signataires (Google explique sur Numerama qu'il préfère te laisser contrôler tes données tout seul, isn't that cute ?). Cela relativise d'emblée la portée de cet acte, pourtant intéressant. A part ça, on compte tout de même (entre autres) Microsoft France, Copainsdavant, les Pagesjaunes, Skyrock et un cabinet d'avocat ( ? ). Portée limitée encore, dès lors que le préambule signale que les données concernées par la Charte sont celles "publiées intentionnellement par les internautes", ce qui exclue d'emblée tout le flux de données involontairement publiées ou révélées par des tiers. Or ce sont justement ces données sur lesquelles les internautes ont le moins de contrôle, car le moins d'informations.

Passons sur les objectifs de pédagogie de la Charte, de sensibilisation, éducation, cocoonisation des internautes, et arrivons aux vrais axes de réflexion, qui sont de protéger les données personnelles de l’indexation automatique par les moteurs de recherche, et de mettre en place des outils permettant de mieux appliquer la loi de 1978 Informatique et libertés, en permettant de mieux localiser les informations et de pouvoir les signaler pour en assurer le retrait.

La "dé-indexation" est ainsi au coeur de la Charte, ce qui a de quoi surprendre comme façon d'aborder le concept de droit à l'oubli. C'est ma façon de voir, mais j'estime qu'on fait de la demi-mesure, en passant par les intermédiaires, les moteurs de recherches, les moyens de diffusion, sans s'intéresser au principal problème qui est le contenu : ce n'est pas exactement de la responsabilité de Google si des informations préjudiciables trainent sur les gens sur Internet, bien au contraire.

A force de s'intéresser aux intermédiaires genre Google & Facebook qui sont les boucs-émissaires actuels de l'Internet, on en oublie la désinvolture avec laquelle les personnes physiques sont mentionnées dans les médias, les blogs, les sites amateurs ou professionnels, etc. Et sur ce problème là, aucune sensibilisation ni éducation pour tenter de faire comprendre aux nouveaux éditeurs de contenus leur responsabilité morale dans la diffusion d'informations relevant de la vie privée de personnes tierces. Qui n'a jamais menacé (souvent en vain) ses amis des pires représailles si les photos de la dernière soirée sont publiées & taggées...?

Le "droit à l'oubli", ce n'est qu'un énième "droit à..." flou et inapplicable, qui sert à faire croire aux internautes que l'Etat va lui accorder des garanties et prérogatives qui changeront sa vie. Après, qu'on s'étonne d'avoir des autorités administratives qui viennent se mêler de réguler le Net, quand nous sommes si prompts à invoquer des droits subjectifs que seules des institutions peuvent nous garantir.

Le "droit à l'oubli", c'est à chacun de l'appliquer pour les autres... Le droit ne devrait pas avoir à intervenir plus qu'il n'intervient déjà par la législation sur la presse. En revanche, si on veut jouer au droit subjectif, je ne peux que soutenir l'idée d'un "droit à l'anonymat", autrement plus opérationnel comme concept, bien que l'idée d'anonymat n'aie pas bonne presse, on en a déjà parlé ici (et là je coule à jamais mon blog en te renvoyant sur un autre blog tellement bien que tu n'en sortiras plus jamais : pour l'explication de l'idée de droit à l'anonymat, Me Olivier Iteanu, "Droit à l'oubli numérique, hétéronymat et cassoulet", mais pour une fois qu'un blog juridique n'est pas une manifestation de la honteuse prédominance des blogs pénalistes, je ne peux pas le passer sous silence.)

Bonne lecture :) 


 
Badineuse


2 commentaires:

  1. Oui...
    J'imagine que : entre conserver des documents administratifs/historiques et stocker toutes tes données sur des énormes serveurs la concurrence est rude....

    Quoique à mon avis la masse d'infos qu'un seul être humain doué d'un esprit geek.. euh...possédant une connexion internet(hum) doit stocker chaque jour pour : s'inscrire à FB, les copains d'avant, twitter, remplir un questionnaire pour pouvoir gagner la voiture de tes rêves, ouvrir un compte XYZ (qui va diffuser par je ne sais quel moyen des spams d'autres sites que tu n'as jamais vu quelques heures plus tard). Si tu multiplie ça par 1.6 milliards, ça commence à chauffer côté serveur....

    Après c'est vrai que quand on s'inscrit à un "Social network" c'est pas pour faire son vieux otaku... Mais on est pas toujours prévenu de la divulgation de nos données personnelles au monde entier. On se sent tout à coup tout nu quand tu te vois apparaître sur google... Et oui tout à fait d'accord avec le fait que ce n'est pas aux moteurs de recherches de masquer ces infos mais plutôt à ces "social networks"... Il devraient renforcer surtout ça.

    Et oui le droit à l'anonymat c'est intéressant... Peut être difficile car qui n'a jamais mis ses coordonnées personnelles sur amazon pour pouvoir commander 3 mois à l'avance le dernier Harry Potter.....?

    Btw, j'adore comment tu écris :)

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  2. Merci c'est gentil :))

    Sur l'anonymat, je pense que ce serait surtout sympathique de pouvoir contrôler les données mises en ligne par d'autres que nous mêmes, ainsi que de pouvoir agir sur Internet sans être obligé de révéler son identité : par exemple sur Facebook, où, (même beaucoup de gens ne le font pas) on est supposés mettre notre vrai nom, sans aucun masque...

    On a droit au pseudonyme dans plein d'actes de la "vraie" vie, pourquoi est-ce si mal vu sur Internet...

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