mardi 23 novembre 2010

Facebook et petits licenciements entre collègues

Un mot sur le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt qui a rendu le 19 novembre 2010 une décision (texte via Les Echos) qui fait fureur à tous les sens du terme, qui valide le licenciement de salariés ayant tenu des propos incitant à la rébellion contre la hiérarchie et s'apparentant à du dénigrement de leur société ; le tout est considéré comme constitutif d'une faute grave.

Les propos litigieux suivent (les mineurs sont priés de détourner leurs chastes yeux, ceci est une incitation à la rébellion) :

Tout commence par " X a intégré le cercle très fermé des néfastes ", déclaration vite commentée par

" Sans déconner... et puis-je savoir qui vous a intronisé dans ce club très fermé monsieur (X), parce que normalement il y a tout un rite, tout d'abord vous devez vous foutre de la gueule de votre supérieure hiérarchique, toute la journée et sans qu'elle s'en rende compte. Ensuite il vous faudra lui rendre la vie impossible pendant plusieurs mois et seulement là nous pourrons considérer votre candidature"

" Et oui, X, va falloir respecter ce rite dicté par notre grand gourou Y. Dès lundi Z et moi allons voir si tu respectes bien tout ça ".

" Bienvenu dans le club mon cher X "

Je t'accorde une minute de répit pour bien apprécier l'horreur de ces propos dans toute leur ampleur ainsi que pour t'en remettre. Les sels sont dans l'armoire à droite.

Bref, mis à part leur caractère hautement éligible à Stupidbook, lequel site avait déjà relayé une affaire similaire aux conséquences moins tristes, ce qui est presque injuste vu que la protagoniste semblait nettement plus limitée... excepté aussi toute la jurisprudence sur Facebook ... mis à part tout cela, je reste dubitative -comme tout le monde- sur plusieurs points.

N'étant pas vraiment une spécialiste du droit du travail, je m'interroge sur la gravité des propos en cause. La faute grave résulte "d'un fait fautif ou d'un ensemble de faits fautifs imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du code du travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis". Une conversation similaire, devant la machine à café de la boîte, en présence de plusieurs autres salariés, aurait-elle reçu une telle qualification ? Qu'en est-il du fait que les propos ont eu lieu en dehors des horaires de travail, un samedi soir, et que dans un pareil cas, il aurait fallu caractériser une atteinte autrement plus grave à l'image de l'entreprise ?

Je ne crois pas qu'il soit pertinent de s'attarder sur l'interprétation du juge des propos des salariés, mais je me permettrais au moins de citer un passage, à titre d'avertissement destiné à ceux qui pourraient croire, les mauvaises langues, que la justice manque d'humour :

" Il est précisé que X intègre "le club des néfastes", club virtuel destiné à rassembler les salariés de la société B, respectant le rite consistant à se "foutre de la gueule" de A, leur supérieure hiérarchique "toute la journée et sans qu'elle s'en rende compte" et ensuite "lui rendre la vie impossible pendant plusieurs mois". Pas de doute, un nouveau culte sataniste est né et il convient d'y mettre un terme... " [...]dans ce contexte, cette phrase qui se termine par les mots "hi hi hi" ne peut être interprétée comme étant humoristique". Passons...

Il semble plutôt que pour apprécier la gravité des propos en cause le juge a surtout retenu la publicité des propos échangés. Les salariés invoquaient le caractère privé de leur conversation et c'est sur ce point que beaucoup critiquent le jugement. Il faut cependant remarquer que le juge a pris la peine de relever le paramétrage des comptes Facebook incriminés, réglé sur "un partage avec "ses amis et leurs amis" permettant ainsi un accès ouvert, notamment par les salariés ou anciens salariés de la société." Et sur ce point, je ne peux, bien à regret, qu'approuver. Facebook n'est pas un journal intime et le partage en est (devenu...) la vocation principale.

Si cette analyse ne suffit pas (voir quand même l'opinion du responsable juridique de Wikio sur PC INpact), on ne peut que constater que la conversation litigieuse est remontée jusqu'à la supérieure hiérarchique visée. En effet, le texte de la décision signale clairement que "des salariés choqués par des propos tenus sur le site Facebook de X nous ont édité puis communiqué les conversations échangées". Transmettons nos plus sincères félicitations aux salariés sensibles en question, qui obtiendront sûrement le prix d'employé de l'année à Noël. Mais dès lors qu'on accepte sur son compte des "amis" du boulot et que les paramètres permettent à leur entourage de voir les conversations échangées, il est difficile de qualifier l'échange de privé.

Les salariés ont interjeté appel. En attendant, réservez vos gentils collègues pour LinkedIn et n'hésitez pas à mieux verrouiller vos profils...

Badineuse

1 commentaire:

  1. ça c'est drôle!! Surtout l'extrait de la décision de justice, c'est trop tordant. Vive les juges!! (et les avocats, ... mais moins quand même)
    :-))

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